Sans conteste, les blogues auront marqué cette campagne. Ils n’auront pas influencé le vote, mais l’expérience qui se dégage de cette première cohabitation blogue-élections au Québec, laisse présager un rôle nettement plus important lors de prochaines élections. Les partis auront probablement beaucoup appris de cette première expérience.
Toute sorte de blogues se sont fait attendre. Blogues de partis, blogues de militants, blogue de consultant en communication plus ou moins associé à certain parti, blogues d’analyse, blogues des journaux dédiés aux élections, sans compter les espaces où les électeurs étaient invités à commenter et échanger sur les élections. Beaucoup de lieux de discussion, d’analyse, de débat, de spin; on a même eu droit en parallèle à une effervescence blogosphérique le soir du débat des chefs. Jamais auparavant, le Web n’a permis autant de chance de s’exprimer.
Les partis auront fait leurs premières armes des blogues comme outils de campagne. Et ils devront méditer sur un drôle de paradoxe : alors que le Parti Québécois et le Parti Libéral créent des blogues sur leur site, tout porte à croire que la « guerre des blogues » sera gagnée par l’ADQ à moins d’un revirement inattendu durant cette dernière semaine.
Je m’explique plus tard. Ne sautons pas les étapes, commençons par regarder ce que font et ne font pas les partis.
Les blogues comme outils de campagnes
Plusieurs analystes ont pu commenter lorsque les blogues de partis ont fait leur apparition. Certains étaient probablement prématurés. On ne commente pas des blogues une première journée de vie avant que le rythme ne s’installe. Il est normal que ceux-ci soient vides.
Le Parti québécois est de tous les partis politiques celui qui s’est engagé le plus à fond dans l’aventure des blogues. Ce parti cherche à présenter un contenu dynamique et à suivre l’actualité. Les billets sont produits par la permanence du parti; un ou des blogueurs anonymes alimentent le blogue au gré de l’actualité… avec l’angle du Parti, il va sans dire. Le Parti Québécois utilise WordPress pour publier son blogue plutôt que Drupal qui est utilisé pour gérer le contenu du site. Les commentaires sont possibles.
Le Parti Libéral du Québec a opté pour une formule de type Vlogues (ou Videoblogue). La stratégie du PLQ étant de miser sur les vedettes du parti en les utilisant dans de courts clips qui sont ouverts aux commentaires. Les clips sont bien sûr réalisés par une équipe de professionnels qui ne laisse rien au hasard; on est loin de l’instantanéité qu’on retrouve généralement dans les blogues. La présentation des clips et l’organisation la section blogue ne dégage pas non plus aucun dynamisme, malgré l’originalité de la formule.
Le Parti Vert est le plus ouvert de tous les partis quant à la participation à la rédaction du blogue. Les signatures sont multiples; candidats, militants. Étrangement, des trois partis qui tiennent blogue, c’est le plus restrictif dans la gestion des commentaires : il faut obligatoirement s’inscrire pour commenter. Pour gérer son blogue, le PVQ utilise Drupal, c’est-à-dire le même CMS que pour la gestion du site. Mais la qualité et la quantité des billets sont décevantes, le manque de ressources et l’inexpérience des responsables sont ici très apparents. Il n’y a rien pour convaincre qui que ce soit, quoique depuis leur dernier changement d’interface (3e depuis le début de campagne), il semble enfin y avoir une accélération de rythme et de pertinence. On ne trouve contrairement aux autres partis, aucune orientation rédactionnelle.
Tant restreindre les commentaires chez les Verts est un drôle de choix éditorial pour un parti qui se veut si jeune et novateur. Les autres partis ont plutôt préféré faire une modération conventionnelle des commentaires nettement plus soft.
Est-ce que Québec solidaire tient un blogue? Là, on entre dans les questions sémantiques. Certains diront oui, la majorité dira non. D’abord, question CMS, le parti utilise, comme le PVQ et le PQ, Drupal. Le parti utilise pour la publication de l’ensemble de ses billets (actualités, billets de candidats, de circonscriptions, etc.) une présentation de type blogue, notamment la chronologie inversée. On serait donc tenté de mettre le tout dans la catégorie des blogues, mais l’impossibilité de commenter les billets – des notes d’actualité aux textes de circonscription – fera dire que ce n’en est pas. Si les billets étaient ouverts aux commentaires, il n’y aurait plus aucune hésitation de qui que ce soit (et il me semble que cela correspondrait plus à sa philosophie de participation et d’ouverture). Par la structure de contenu, le site de Québec solidaire propose, à mon sens, l’organisation la plus adapté à une campagne électorale.
L’Action démocratique du Québec n’a rien sur son site qui puisse s’apparenter de près ou de loin à un blogue. Les seuls contenus sont constitués de communiqués et horaires de tournée empillés les uns sur les autres. Et, bien sûr, aucun espace de commentaire.
Mais le paradoxe : l’ADQ en voie de gagner la guerre des blogues.
Malgré tous les efforts des partis à aménager des blogues et à susciter les commentaires, l’ADQ qui n’a pourtant rien investi sur son site en voie de remporter la guerre des blogues. Surpris? Moi, pas totalement.
Le PQ, le PVQ et PLQ ont concentré leurs efforts et leur investissement à alimenter en contenu les internautes qui se sont présentés sur leur site. Éventuellement, ils ont incité leurs sympathisants à commenter sur les blogues des journaux ou des autres partis (version blogue des escouades qui participent aux lignes ouvertes).
La stratégie « blogue » de ces partis étant orientée principalement sur le contenu de leur blogue, sur la fréquentation de leur blogue et sur les commentaires laissés sur leur blogue, ils ont oublié l’essentiel : en campagne, il ne faut pas parler qu’aux sympathisants, mais il faut rejoindre leurs autres. Et ce n’est pas dans son blogue qu’on les trouvera, mais ailleurs sur le Web. Leur blogue, aussi bien soit-il, se limite à parler aux sympathisants.
Pourtant, qui a fait la manchette dans la blogosphère au cours de la campagne? Les blogues de parti ? Très peu. Ce sont principalement les blogues de « particuliers » sympathisants à l’ADQ qui ont retenu l’attention. Accidentellement ou volontairement, ils ont réussi à faire parler d’eux dans les journaux dans la blogosphère. Sur les autres blogues, dans les blogues de journaux, dans les articles et reportages de journalistes qui suivent l’activité des sites Web. Même dans les articles des journaux, à la radio et à la télévision, les blogueurs adéquistes ont pu faire la manchette.
Stratégie établie ou un accident de parcours? Est-ce que l’ADQ a pu profiter d’une mouvance en sa faveur ou avait préparé le terrain? L’après-campagne nous donnera surement plus de précision.
Une chose est certaine, l’ADQ a pu mobiliser ses sympathisants à prendre la parole directement avec leurs propres blogues. Les PLQ et le PQ ont utilisé les blogues comme zones d’informations et d’interprétation de l’actualité, pour s’adresser à leurs membres, mais n’ont pu susciter une prise de parole autonome forte de leur part.
Malgré le développement des blogues, malgré l’intérêt pour ceux-ci, les partis n’ont compris que l’intérêt des blogues n’est pas dans la production d’information, mais dans la prise de parole. Le sens et la force des blogues tiennent tout entier dans ce geste d’expression.
Pourtant, traditionnellement, les partis connaissent très bien l’importance de se faire entendre. A chaque élection, les partis mobilisent leurs sympathisants à s’exprimer dans les tribunes téléphoniques, dans les lettres aux lecteurs, partout où ils pourront se faire entendre. Mais se faire entendre dans la blogosphère, ça ne veut pas dire se limiter aux commentaires; se faire entendre, c’est à travers et au moyen d’un blogue autonome. Faire des escouades de commentateurs de blogues (par exemple, le soir du débat comme le veut la rumeur) ne fait pas le poids face à plusieurs blogues qui font la manchette, attirent l’attention, donnent une interprétation de l’actualité..
Le Parti québécois, le parti libéral, le Parti vert et Québec solidaire n’ont pas réussi à motiver leurs sympathisants à s’exprimer à travers leurs blogues, ou à ouvrir de nouveaux blogues pour faire l’événement pendant l’élection. Ce qu’a bien réussi l’ADQ.
D’ici la prochaine élection :
- les partis auront intérêt à mieux travailler sur la mobilisation leurs sympathisants afin que le plus grand nombre s’exprime très ouvertement au moyen de leur propre blogue – même s’ils ne pourront contrôler le message qui circule;
- le Directeur Général des Élections aura intérêt, lui aussi, à se bien préparer afin de baliser ce nouveau champ de bataille électoral.