Éric Caire, l’infonuagique et la catégorisation

Précisions très importantes apportées par Éric Caire, ministre délégué à la transformation numérique du gouvernement du Québec, à propos du projet de transférer l’hébergement des activités du gouvernement vers des solutions infonuagiques. Ces précisions ont été faites lors de une entrevue accordée à Bruno Guglielminetti, dans le cadre de son podcast hebdomadaire du 7 juin dernier.

On se rappellera qu’en février lors de l’annonce du projet gouvernemental, bien que l’intention d’adopter l’architecture infonuagique fut reçue très positivement, de nombreuses personnes ont soulevé des questions sur la capacité du gouvernement à maintenir sa souveraineté exclusive sur le les données hébergées dans les environnements infonuagiques publiques, lorsque ceux-ci sont opérés par des fournisseurs de service américains. Les critiques faisaient remarquer que ces fournisseurs américains sont soumis à la législation américaine, même lorsqu’ils opèrent sur le territoire canadien.

Dans un texte paru dans le journal Le Devoir, Pierre Trudel écrivait:    

« Bien que le ministre ait manifesté son intention de faire en sorte que les données demeurent physiquement sur le territoire québécois, il n’a pas exclu que les services d’infonuagique puissent être assurés par des entreprises assujetties aux lois américaines. Or, il se trouve que le droit américain accorde aux autorités de ce pays un droit étendu d’accéder aux données où qu’elles se trouvent, et ce, dès lors qu’elles sont entre les mains d’une firme assujettie aux lois américaines. »

Malheureusement, le ministre délégué n’a jamais répondu publiquement à ces critiques en décrivant comment il s’assurerait qu’aucun gouvernement autre que le sien ne pourrait accéder aux informations stockées dans le cloud public. Sauf pour dire qu’il n’y avait pas de danger à ce niveau. Ce qui n’est pas une réponse rassurante.

Ainsi donc, pour la première fois depuis l’annonce de février, le ministre donne donc enfin les précisions tant attendues:

  1.  les données seront catégorisées en fonction de leur degré de sensibilité, afin de s’assurer que les données hautement sensibles soient conservés dans un environnement infonuagique privé (opéré par le gouvernement du Québec);
  2. seules les données moins sensibles seront hébergées dans un environnement public; 
  3. l’ensemble des données hébergées dans les environnements infonuagiques seront cryptées pour les rendre inutilisables pour n’importe quel intru.    

Voici la transcription de la portion de l’entrevue où le ministre délégué revient sur la question de l’infonuagique:

Question de B. Guglielminetti : « Une question qui est délicate évidemment quand on parle de transformer numériquement quelque chose encore plus quand on parle du gouvernement, c’est tout le domaine des données privées, l’information dont vous êtes le gardien dans différents ministères. Comment vous vous assurez que ces données-là vont demeurer en sécurité, vont même même demeurer au Québec parce que ce sera nos lois au Québec, les lois du Canada, qui auront juridiction là-dessus, plutôt que les faire héberger ailleurs dans le monde ou d’autres lois pourraient permettre à d’autres pays d’y avoir accès sans qu’on puisse rien dire. »

Réponse de E. Caire : « Je pense que d’abord il n’est pas inutile de dire que l’infonuagique amène des possibilités qui sont extraordinaires. Donc, je pense que c’est un virage que le gouvernement prend, qui a été pris par plusieurs autres administrations publiques, qui était pris par des sociétés privées; donc je pense qu’on est vraiment dans la transformation numérique et dans le gouvernement du 21e siècle. Maintenant, une chose que l’on doit faire et qui n’a jamais été faite, c’est de catégoriser nos données. Parce qu’on entend beaucoup « ah! nos données privées vont se ramasser à des compagnies étrangères ». Un instant! un instant! Le gouvernement du Québec, on n’est pas non plus des inconséquents. »

« Et ça, le gouvernement du Québec ne l’a jamais fait. Le gouvernement fédéral l’a fait et ça, c’est très intéressant. En catégorisant nos données, ça nous permet de nous dire : quelles sont les données qui sont très sensibles, très névralgiques, jusqu’à celles qu’on pourrait mettre en données ouvertes. Il y a quand même un spectre qui est assez large. Alors, les données qui sont catégorisées comme très sensibles – pis là, on a estimé ça à environ 20% des données que le gouvernement du Québec possédait – seront envoyées en infonuagique privée. Le terme peut sembler paradoxal parce que par privé j’entends l’infonuagique gouvernementale donc c’est le gouvernement du Québec qui va en être le fiduciaire. »

« Les autres données qui sont moins critiques peuvent aller en infonuagique publique, donc les fournisseurs d’infonuagique qui se qualifieront auprès du gouvernement du Québec et même là, par entente contractuelle, on va s’assurer que ces entreprises-là, si elles hébergent les données au Québec, au Canada ou en Europe, sont sous le coup d’une loi de protection des données et des renseignements personnels qui est équivalente ou, même dans certains cas, supérieure à notre loi à nous et si ce n’est pas le cas, par exemple pensons aux États-Unis (on va nommer les choses par leur nom) par entente contractuelle, on peut arriver à donner un niveau de protection à nos données qui serait équivalent à notre loi d’accès à l’information. »

« Donc, contractuellement, on va faire ce que les lois américaines ne feraient peut-être pas. Et, finalement, si je peux me permettre, on va évidemment forcer le fait que les données soient encryptées et que le seul détenteur de la clé de désencryptions soit le propriétaire des données, soit le ministère et/ou l’organisme qui va signer l’entente contractuelle avec les fournisseurs de services. Si bien que, si au bout de tout ça quelqu’un avait vraiment envie d’aller prendre ces données-là dont l’intérêt pourrait être discutables, mais elles seraient inintelligibles parce qu’encryptées. »

(L’entrevue complète se trouve ici)

En clair, cela signifie que le Secrétariat du conseil du trésor du Québec, de qui relève le ministre délégué à la transformation numérique, s’alignera sur les pratiques déjà initiées par le gouvernement du Canada dans ce domaine. Ce qui est sans doute une très bonne nouvelle.

A titre de rappel, le gouvernement canadien a présenté sa stratégie en matière d’hébergement numérique en 2017. On peut la consulter ici:  Stratégie d’adoption de l’informatique en nuage du gouvernement du Canada.

Voici d’ailleurs la définition de la catégorisation de sécurité présentée dans ce document:

Qu’est-ce que la catégorisation de la sécurité?

« La catégorisation de la sécurité est le processus qui consiste à attribuer une catégorie de sécurité aux ressources, aux biens ou aux services d’information en fonction du degré de préjudice que l’on peut raisonnablement s’attendre à subir en raison de la compromission de ces ressources, biens ou services.

L’information est identifiée et catégorisée en fonction du degré de préjudice qui pourrait résulter de la compromission de sa confidentialité, de sa disponibilité ou de son intégrité. »

#VisionNumérique / Premières réponses

La démarche lancée au cours des dernières semaines autour des questions sur le numérique adressées aux partis politiques est intéressante à plusieurs niveaux. Elle permet d’une part d’offrir un éclairage supplémentaire à une thématique qui peine toujours à trouver sa place dans l’espace politique. Elle offre aussi l’opportunité pour certains citoyens, intéressés et impliqués dans le numérique, de contribuer à la réflexion collective. Ce qui est tellement  important.

Les points de pression de la transformation numérique sont nombreux. Nous sommes en grande partie des cobayes consentants d’une transformation sans objectif ni direction connue, déterminée en grande partie par l’agenda d’affaires d’une poignée de grandes technos. Tout espace de réflexion qui s’interroge sur les sources et le sens de ces changements est, selon moi, très précieux. Émettre des idées et discuter, analyser les changements, partager les expériences sera toujours plus positif que la crainte, le cynisme ou la résignation. Nous sommes donc ravis de voir se multiplier les contributions spontanées de personnes issues de la communauté numérique.

En date d’aujourd’hui, 3 partis nous ont remis leur réponse (CAQ, QS et PQ). Nous souhaitons voir le dernier (PLQ) s’ajouter d’ici peu.

Vous pouvez consulter les réponses des partis à partir de cette page sur Medium: La #visionnumérique des partis politiques québécois. Vous êtes invités à lire, partager, commenter les positions des partis politiques. Petit rappel pour ceux et celles qui auraient ratés pourquoi nous publions les réponses sur Medium :  Nos questions aux partis politiques et le DGEQ (et ici, et ).

Quelques contributions intéressantes

Quelques personnes de la communauté numérique ont spontanément répondu aux questions proposées aux partis. Voici leur contribution: 
– Carl-Frédéric De Celles : De la campagne et du numérique
– Pierre-Luc Lachance : Le réveil de l’Ami Raton
– Patrice-Guy Martin: Huit réponses à huit questions sur le numérique
– André Bélanger : Quelques réponses aux questions sur le numérique pour les partis politiques

– Jean-Robert Bisaillon:  Élections québécoises 2018, environnement, politique culturelle et troisième révolution industrielle (il ne s’agit pas de réponses aux questions, mais d’une réflexion qui s’inspire du même questionnement et de la même démarche.

Rappel de la démarche:

Clément Laberge:
Quelle vision (numérique) pour le Québec?
Huit questions sur le numérique pour les partis politiques

Martine Rioux:
Le numérique en questions
– Le numérique en questions… la suite
– 8 questions pour une vision numérique

Yves Williams:
Des élections et du numérique
Plus que 2 semaines…
8 questions sur le numérique aux partis politiques

D’autres billets, contributions et réponses de partis vont s’ajouter d’ici quelques jours. Stay tuned! 


Photo by G. Crescoli on Unsplash

Nos questions aux partis politiques et le DGEQ

Le DGEQ vient-il de modifier les règles de la participation citoyenne à laquelle nous nous étions habitués? En envoyant une mise en demeure à Équiterre, l’enjoignant de retirer son analyse des programmes des partis politiques en matière d’environnement, le DGEQ vient ébranler une certaine tradition de nombreux intervenants de la société civile qui consiste à inviter des représentants de partis à débattre, à participer à des rencontres, à remplir des questionnaires.

Difficile de dénombrer le nombre d’événements ou d’actions à caractère politique qui sont organisés à travers la province durant une campagne électorale. Certains avec des objectifs très généreux qui visent à rendre plus visibles des thématiques complexes qui ne se retrouveraient jamais sur la place publique autrement; d’autres, comme la majorité des rencontres dans les chambres de commerce, qui sont des activités de financement lucratives pour l’organisateur.

Cette année, le DGEQ semble vouloir tracer un trait. On ne sait pas encore précisément ce que ce trait délimite, mais assurément le trait est en gros BOLD, et ses implications seront importantes : « Un citoyen qui compilerait sur son blogue personnel – pour lequel il paie des frais d’hébergement – les promesses électorales des quatre partis politiques, sans les commenter ou les comparer, s’exposerait-il au même traitement de la part du DGEQ? «Oui», a confirmé Pierre Reid à deux reprises lors d’une entrevue téléphonique avec le HuffPost Québec mercredi après-midi. »

Dans un tel scénario, l’espace de débat citoyen vient de fondre radicalement.

On peut s’interroger : en demandant spécifiquement à Équiterre de retirer de ses serveurs les documents litigieux, en faisant le même type de demande à la CSQ – qui avait fait une analyse comparée des programmes des partis – , en affirmant que tout citoyen pourrait faire l’objet d’une même mise en demeure s’il mettait en ligne certains documents qui analysent les partis, le DGEQ semble cibler très spécifiquement les nouveaux supports numériques.

Des informations de très haute qualité, impartiales, minutieuses sont générées par la société civile. La couverture des élections ne peut être réalisée par les seuls médias. Surtout pas aujourd’hui au moment où les médias d’information sont affaiblis et n’ont pas nécessairement les moyens de suivre les campagnes, les conférences de presse, produire des débats, faire des analyses de fond. Surtout plus aujourd’hui où les capacités d’analyse sont partout dans la société civile et les moyens de diffusion accessible et sont peu coûteux, voire gratuit. 

Ne pas permettre ce canal (à l’intérieur de balises précises), c’est laisser toute la place aux rumeurs, à la désinformation et aux fake news, plutôt qu’une information juste et impartiale. C’est mettre le couvercle sur des bénéfices tangibles de la culture des données.

Le DGEQ devra refaire ses devoirs de toute urgence et mettre son calendrier à l’an 2018.

Nos questions…

Ce petit préambule pour indiquer que notre démarche entamée auprès des partis politiques, pour qu’ils répondent à notre questionnaire, se poursuit.

Toutefois, pour qu’il soit clair que nous n’engageons aucuns frais d’aucune sorte, nous ferons paraître les réponses sur la plateforme Medium, qui est gratuite. Aussi ridicule que ça. Dommage!

La publication des réponses débutera ce week-end.

D’ici là, stay tuned!


Photo by Agence Olloweb on Unsplash

Huit questions sur le numérique pour les partis politiques

Depuis quelques jours, vous avez lu quelques bribes sur notre projet de sonder la vision politique des porte-paroles numériques des 4 principaux partis engagés dans cette élection provinciale. Je publie ici la liste des questions préparées avec l’aide de Clément Laberge et de Martine Rioux. Ceux-ci publieront aussi sur leur blogue ces mêmes questions avec leur propre présentation du projet conjoint.


RAPPEL

En 1995, lors de l’allocution de présentation du rapport sur l’autoroute de l’information, qui allait marquer les premiers pas du gouvernement du Québec dans le monde numérique, Jacques Parizeau lançait cette phrase : « Il faut se brancher pour construire, et non pour subir, la révolution du savoir ». Il soulignait ainsi l’exigence pour tout gouvernement d’être à l’avant-scène de l’initiative et de l’action s’il souhaite insuffler une direction aux transformations qui traversent nos sociétés. En 2018, plus que jamais, la transformation numérique fait son œuvre; et l’exigence d’être alerte face aux changements sociaux qui en découlent est toujours à l’ordre du jour. Nos partis politiques sont-ils bien outillés pour faire face aux défis numériques qui se dressent devant nous?

Depuis le début de la campagne électorale, l’avenir numérique du Québec n’a pas eu la chance de prendre beaucoup d’importance dans l’agenda électoral. Pas autant que nous aurions pu l’espérer, du moins. Pourtant, cette année, nous avons la chance de compter parmi les candidats des personnes ayant développé une expérience solide et diversifiée face aux défis de la transformation numérique. Malheureusement, le déroulement de la campagne ne leur a pas permis de mettre de l’avant la vision numérique qu’ils seraient en mesure de déployer.

À travers notre démarche, nous avons voulu leur offrir une tribune à ces candidats pour mieux nous éclairer sur ce qui les anime et mettre en valeur ce qui les différencie.  Martine, Clément et moi avons préparé un court questionnaire remis aux 4 porte-paroles numériques, en les invitant à nous répondre par écrit. Chacun à son rythme et selon son horaire; sans les contraintes des débats contradictoires.

Nous avons donc conçu ces questions comme des tremplins pour les aider à illustrer la philosophie politique à l’égard du numérique au Québec qui sous-tendra leurs actions lorsqu’ils auront à faire des choix, une fois élus.


QUI

Ont reçu les questions soit directement ou via leur attaché de presse :

  • Mario Asselin (CAQ) – candidat de Vanier-Les Rivières
  • Dominique Anglade (PLQ) – candidate et députée de Saint-Henri-Sainte-Anne, ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, ministre responsable de la Stratégie numérique
  • Michelle Blanc (PQ) – candidate de Mercier
  • Vincent Marissal (QS) – candidat de Rosemont


COMMENT

Les questions ont été distribuées voilà maintenant une semaine. Il n’y a pas d’échéance pour la production des réponses; nous sommes très bien conscients des contraintes auxquelles sont confrontées les candidats. Chacun a reçu comme information qu’aujourd’hui, le mardi 18 septembre, les questions seraient rendues publiques et qu’au cours des prochains jours seront publiées les réponses, au fur et à mesure de leur réception.

Huit thématiques composent le questionnaire. Mais nous avons demandé aux candidats de ne répondre qu’à 5 d’entre elles; celles qui leur permettront de mieux exprimer leur vision politique du numérique.


VOTRE PARTICIPATION

Nous invitons la communauté numérique à partager les questions et les réponses, ainsi qu’à les commenter sur l’un ou l’autre de nos blogues (ici, ou sur le blogue de Martine ou sur le blogue Clément), ou sur vos réseaux sociaux préférés.

Nous vous invitons aussi à utiliser le hashtag: #visionnumerique.


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LES QUESTIONS


A – INNOVATION

L’innovation est au cœur des discussions lorsqu’on parle de l’avenir numérique. Tout le monde y est favorable.

Sauf que quand de nouvelles pratiques économiques émergent à la suite de certaines innovations, les pouvoirs publics peuvent se trouver rapidement démunis.

On a qu’à penser à la difficulté du gouvernement à se faire une opinion sur la meilleure stratégie à prendre face à Uber. La question est d’actualité, car le projet-pilote qui devait durer une année (et qui en a finalement pris deux) arrive à terme en octobre, tout juste après les élections.

Que proposez-vous pour que les beaux discours en faveur de l’innovation ne s’évanouissent pas chaque fois que que l’innovation se transforme en très profonds et très rapides bouleversements sociaux ou industriels?


B- STRATÉGIE NUMÉRIQUE ET ADMINISTRATION PUBLIQUE

On entend beaucoup d’insatisfaction par rapport à la manière dont l’administration publique a intégré les technologies numériques jusqu’à présent. L’administration publique qui n’est pas particulièrement reconnue pour son agilité, sa transparence et son innovation. Est-ce justifié selon vous? Pourquoi? Quel geste faudra-t-il poser pour transformer le fonctionnement de l’État de manière à ce qu’il utilise plus efficacement le numérique?

[Question au PQ, à la CAQ et à QS]

Le gouvernement a déposé une stratégie numérique en décembre dernier. Ce document sera-t-il un point de départ pour votre action ou envisagez-vous déjà de mettre cette stratégie de côté pour établir de nouvelles orientations prioritaires? Le cas échéant, quelles seraient-elles?

[Question au PLQ]

Vous avez présenté la stratégie numérique en décembre. Comment évaluez-vous à  ce stade l’atteinte de vos objectifs de transformation numérique? Comment comptez-vous aller plus loin si vous formez le prochain gouvernement?


C- ACCÈS À L’INFORMATION  

C’est pas mal unanime: la loi d’accès à l’information, et les processus qui lui sont associés, sont de plus en plus désuets — et les plus récentes tentatives de mise à jour se sont soldées par un échec.

Dans ce contexte, ne serait-il pas plus simple de définir par une loi-cadre qui précise que que tous les documents produits par l’État québécois doivent être publics et accessibles sans restriction dans un délai raisonnable, à moins de justifications explicites? Et sinon, pourquoi?

En complément, y a-t-il un lien, de votre point de vue, entre la loi d’accès à l’information, une politique de données ouvertes et l’utilisation de logiciels à codes sources ouverts/libres par l’administration publique?


D-  COMMERCE EN LIGNE

Le défi du commerce en ligne est complexe. Les difficultés actuelles ne tiennent pas seulement dans la timidité des commerçants locaux à faire le virage qui s’impose pour suivre leur clientèle. Le défi tient aussi à la concentration très forte dans le commerce en ligne dans les mains de quelques gros joueurs. Ex. 50% du commerce en ligne américain passe présentement par la plateforme Amazon.

Doit-on encourager en priorité la transformation numérique des commerçants par programmes d’accompagnement, de transfert de connaissances (et de compétences) avec un plus grand soutien financier?

     ou

Doit-on plutôt encourager en priorité des solutions innovantes (privées ou publiques) qui misent sur la mutualisation de ressources et de services pour offrir aux commerçants des environnements logistiques qui les rendraient plus concurrentiels ?

     ou

Doit-on au contraire laisser les entreprises s’adapter en fonction des forces du marché?


E- CULTURE

Croyez-vous que le numérique sera globalement positif ou négatif pour les créateurs québécois? Il s’agit plutôt d’une menace ou d’une opportunité pour notre culture nationale?

Dans ce contexte, comment les nouvelles formes de diffusion des produits culturels reconfigurent-elles notre identité culturelle? Doit-on revoir notre façon de penser et définir notre culture nationale?

Faut-il modifier les systèmes sur lesquels s’appuient nos industries culturelles (quotas, subventions, crédits d’impôt, etc.) pour tenir compte de cette nouvelle réalité?


F- DÉMOCRATIE

Nous sommes face à un étrange paradoxe :  celui d’une société instruite comme jamais dans l’Histoire, mais en pleine crise de confiance face au pouvoir politique et ses institutions. Cela, malgré tous les outils de communication et de réseautage à notre disposition.

Comment le numérique peut favoriser l’engagement et la participation positive des citoyens dans la vie démocratique?

Comment la transformation du fonctionnement de l’État peut-elle aider à réduire cette crise de confiance?


G- ÉDUCATION

Un peu partout à travers le monde, on voit se multiplier de nouvelles institutions d’enseignement (principalement privées), de niveau collégial et universitaire.

Est-ce une bonne idée pour le Québec de répondre à cette tendance avec un service concurrent (type eCampus)? Pourquoi?

Et si, oui, quels devraient être les objectifs de ce service? Quelles priorités devraient guider son développement?


H. DÉVELOPPEMENT RÉGIONAL

On parle peu de numérique et de développement régional, sauf en matière d’investissement pour l’emploi. Comment l’utilisation des technologies numériques peut-elle contribuer à soutenir et raffermir les économies régionales?

Concrètement, comment la mise en réseau d’informations, de ressources, de fournisseurs, de données, etc, pourrait créer de nouvelles opportunités économiques? Si oui, de quelle façon croyez-vous pouvoir soutenir ce type d’innovation? Quel rôle le gouvernement devrait-il avoir dans l’initiation de projets structurants qui pourraient consolider les économies locales?

Croyez-vous que le travail à distance et le travail autonome sont des alliés du développement régional? Si oui, comment proposez-vous d’agir pour soutenir le développement de ces nouvelles formes de main d’œuvre?

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Photo by rawpixel on Unsplash

Le PQ, la CAQ, Tinder et l’administration publique

J’attends le jour où les porte-paroles des principaux partis s’affronteront sur ce thème majeur : « comment rebooter l’administration publique »; où chacun défendra sa version de la réforme de l’État. J’imagine QS défendre les principes de l’État-Lab; le PQ, les mérites de l’État-Plateforme; le PLQ, la nécessité de poursuivre la transformation numérique entamée au cours des dernières années; la CAQ, qu’il faut rationner les dépenses TI et mieux gérer les contrats pour en finir avec le « bordel informatique ». Et chacun et chacune y allant de ses priorités numériques et de sa compréhension des défis. On est encore loin de cet affrontement qui risque de rester à l’état de fantasmes.

Pour se faire une tête de ce que prévoient nos partis, il nous faudra donc nous contenter du dévoilement goutte à goutte des programmes et des mesures que les partis prévoient de mettre en place. Nous n’en sommes qu’aux premières cases de ce calendrier de l’Avent électoral, mais quelques éléments nous donnent déjà une image impressionniste de ce que les partis mijotent pour l’administration publique.


Le PQ

Lundi, le PQ a dévoilé des mesures ambitieuses de soutien au covoiturage. Changer les habitudes de déplacement pour réduire notre impact écologique. Le parti cherche à faire passer le taux d’occupation des voitures aux heures de pointe de 1,2 à 1,4. Moins de voitures en solitaire et plus de partage. Sans doute une excellente mesure écologique, sociale et de mobilité. Et la techno, le numérique dans tout cela, me direz-vous! Voilà, j’y arrive.

Plutôt que d’en rester à la description de cette mesure qui dépeint leur ambition environnementale, le PQ s’est cru obligé d’y ajouter un volet techno. En fait, ce volet est important, car voilà une action de mobilité qui ne peut se réaliser qu’au moyen d’un support technologique. Le covoiturage sécuritaire et contrôlé ne peut se faire qu’au moyen d’une gestion rapide des personnes inscrites et l’analyse des itinéraires soumis par les participants (les conducteurs comme les passagers). Un système de maillage comme il y en a des tonnes dans différents secteurs, par exemple comme le sont Airbnb et Uber.

Ce projet simple illustre ce que le PQ veut faire du numérique: offrir à l’administration publique l’option de développer de nouvelles initiatives. L’innovation au service de l’innovation. Et à impact économique, écologique et social positif. Ce qui est bien.

Mais il a bien sûr fallu que MM. Lisée et Breton s’enlisent dans la techno. D’abord en qualifiant l’application technologique de « Tinder du covoiturage ». Quoi de mieux pour détourner l’attention de tous sur l’application alors qu’il voulait présenter une solution de mobilité, en plus de lui donner une texture franchement caricaturale.

Vous connaissez cette loi de la nature qui dit que les médias fouilleront toujours où ça grince. Et bien là, ça grinçait beaucoup. Il a donc fallu que MM. Lisée et Breton répondent à des questions sur le rôle de cette appli,  en se fourvoyant littéralement à propos de la portée de celle-ci, sur le rôle des partenaires, voire même sur le rôle du gouvernement dans le développement du volet technique. Tout à coup, le gouvernement devenait le lead techno et le concepteur de l’application. De projet écolo-mobilité, on venait de passer à un projet technologique. L’art de faire déraper.

À la fin de la présentation, certains des partenaires pressentis pour participer se sont sentis obligés de rectifier pour dire que: non, c’est pas exactement comme ça devrait se passer.

Notons que la startup de covoiturage Netlift avait déjà présenté la quasi-entièreté de ce projet, avec sensiblement des chiffres équivalents, voilà 6 mois dans le cadre du Forum Startup Innovation. Bien sûr, le PQ n’a pas indiqué l’apport de Netlift dans le projet; ni qu’il endossait le projet initial de Netlift et leurs estimations. Ce qui est bien dommage. Le cafouillage laissait plutôt penser que l’administration publique venait prendre la place des joueurs déjà sur le terrain.

Le cafouillage ne s’est pas arrêté là. Ils ont même réussi à confondre l’application de maillage (genre Netflix) avec une autre plateforme pour unifier l’ensemble des applications technologiques de mobilité urbaine (STM, Taxi, Netlift, Bixi, autopartage, etc.). Cette application est en gestation sous l’égide de la STM qui aimerait bien simplifier la vie des usagers en leur permettant de gérer à un seul endroit tous leurs comptes liés au déplacement. Un autre projet que le PQ, partisan des plateformes numériques endosserait. Le projet de la STM s’appelle Céleste. Le rendu du PQ lors de la conférence de presse était loin d’être céleste.

En fait, ce que le PQ a réussi à montrer, c’est que oui, le parti croit à de nouvelles pratiques qui peuvent naître grâce au numérique; oui  les plateformes pourront les aider dans leur projet; mais non, ce n’est vraiment pas clair pour eux comment celles-ci fonctionnent ni quel est le rôle de l’administration publique dans ce type d’initiative.

On verra bien au cours des prochains jours si la présentation des volets techno de leur projet sera mieux contrôlée.  Mais là, on sentait plus d’opportunisme de la part du PQ qu’un réel sens de l’innovation.


La CAQ

Mardi, la CAQ aura montré que ce n’est pas d’eux que viendra le virage numérique de l’État. On s’y attendait. Là, maintenant, c’est plus clair.

Pour « améliorer » l’administration publique, la CAQ compte réduire les coûts de l’administration publique. On économisera donc en misant sur l’attrition, sur les services informatiques, sur les acquisitions et bien sûr la numérisation des services administratifs qui se fera dans une optique d’économie. Bref, la CAQ le parti du changement, nous propose l’approche dépenser moins et dépenser mieux que plusieurs nous ont servie depuis 20 ans. Comme si le défi de l’administration publique consistait à trouver les bons gestionnaires, comme si l’élection devait se résumer par ce slogan: nous sommes de meilleurs gestionnaires, nous ferons mieux que les autres. Il me semble qu’on l’a souvent vu ce film.

Si certains espéraient encore que l’administration publique soit revue, corrigée et modernisée par la CAQ en instaurant de nouveaux modèles organisationnels et de nouvelles pratiques soutenus par le numérique, vous serez déçus. Ce ne sera pas pour cette fois. La CAQ s’en tiendra aux préceptes de la rigueur managériale, même si cette recette, mise de l’avant par tous les partis, ne semble jamais atteindre ses objectifs puisqu’on y revient toujours.

De toute façon, ce ne sera pas une grande surprise que la CAQ ne se positionne pas comme le leader de l’innovation et du redesign de l’appareil gouvernemental. Ce scénario n’a jamais fait partie de son discours officiel; ils ont toujours privilégié une approche comptable.

Je garde néanmoins en tête que la campagne est loin d’être terminée. Les partis nous réservent peut-être de nouvelles surprises. Alors, stay tuned. Qui sait?

Les candidat-e-s, des militant-es numériques qui s’ignorent

Chères candidates,  chers candidats,

Durant cette campagne électorale, vous aurez la chance unique de travailler avec l’un de ces nouveaux logiciels dont se sont dotés tous les grands partis politiques. Petits bijoux qui ont pour noms « Gestion PQ », « Lib Contact », « Coaliste ». Ce sont les versions les plus récentes d’outils qui s’inspirent de nombreuses expériences électorales au Québec, au Canada et aux USA.

Ces outils recoupent bien sûr les informations issues de la liste électorale officielle du DGEQ . C’est donc dire le nom de toutes les personnes inscrites sur cette liste, avec adresse, date de naissance et sexe. À cela s’ajouteront des informations recueillies sur nous,  nos quartiers, nos catégories sociodémographiques, nos groupes d’âge, etc. Des informations tantôt produites ou tantôt achetées (ex. : des bases de données spécialisées; listes de no de téléphone domicile ou cellulaire). Dans certains cas, ce seront des informations plus directes issues d’une interaction avec votre parti ou suite à un sondage partisan qu’on aura complété un soir d’indignation  (ou d’égarement) qui vous fournira des précisions sur certaines préoccupations politiques et quelques informations personnelles complémentaires.

Vos partis politiques nous ont fichés dans leur base de données; les partis nous connaissent bien. Ce n’est pas nouveau. Le pointage électoral existe depuis belle lurette. Mais disons que depuis une dizaine d’années, le pointage s’est métamorphosé en art de la collecte et de la gestion de la donnée. Certains d’entre vous utiliseraient même l’intelligence artificielle pour cruncher ces magmas d’informations afin de dégager les profils d’électeurs prioritaires vers lesquels vous dirigerez un maximum d’effort.

N’ayez crainte, je ne vous accuserai pas de suivre les traces de Cambridge Analytica en poussant trop loin la chasse aux informations personnelles. Même si la législation vous donne beaucoup de latitude, plus en tout cas que pour les entreprises privées, il semblerait que vous restiez modeste dans la collecte, loin de ce qui se fait aux USA et en Angleterre. Notamment, que vous ne pompez pas nos réseaux sociaux. J’ai confiance que le DGEQ garde un œil (ou deux) sur vous et sur toutes ces données personnelles que vous accumulez . Quoiqu’il en soit, là n’est pas mon propos dans ce billet.

Chers candidats, chères candidates,  durant cette campagne, vous travaillerez donc avec des artistes du numérique, vous aurez la chance de voir, de vivre, de comprendre l’importance d’une gestion efficace des données dans la prise de décision, l’importance de leur analyse fine, de leur accessibilité, de leur portabilité, de la facilité de leur visualisation. En politique, il est toujours essentiel d’aller au-devant de la population pour serrer des mains, mais en 2018, c’est tout aussi essentiel (sinon plus) de bien connaître cet électeur-cette électrice, de connaître ses intentions, de devancer ses intérêts, de savoir ce qui le-la fait bouger ou reculer. Toute les informations recueillies avant et pendant la campagne vous aideront à orienter vos actions et à rafiner vos stratégies. Et à la fin de cette élection, dans votre circonscription comme dans l’ensemble de la province,  les gagnants ne seront pas nécessairement ceux-et-celles qui auront rencontré le plus d’électeurs, ni ceux-et-celles qui auront souri au plus grand nombre de bébés. Il est probable que les candidats qui auront mieux travaillé la granularité de leurs interventions marqueront le plus de points, là où ça compte vraiment.

Chères candidates, chers candidats, à la fin de cette campagne vous serez des partisans convaincus des mégadonnées. Vous en aurez l’expérience, vous en serez les bénéficiaires. Vous aurez peut-être vous-mêmes commencé à développer une culture de la donnée, par cette expérience directe. N’oubliez surtout pas ce moment. Lorsque vous serez député, ministre ou premier ministre, rappelez-vous ce moment. Rappelez-vous comment cette culture de la donnée fut importante, comment la logistique des données est importante dans l’action, dans la prise de décision, dans la compréhension de la réalité. Rappelez-vous en, car c’est à vous qu’incombera la responsabilité d’importer cette culture de la donnée dans l’appareil gouvernemental.

Développer cette culture de la donnée, ce n’est pas que promettre l’accessibilité et le partage de données (comme commence à le faire – à petits pas – le gouvernement du Québec depuis quelques années), c’est aussi et surtout de revoir la connexion des travailleurs, des fournisseurs, des intervenants et des outils de votre organisation afin de faciliter la circulation des informations (des données). C’est de mettre en place des mécanismes de monitorage, de captation, d’analyse, de production de modèles d’analyse, et de nouvelles stratégies de diffusion.

Ultimement, la culture de la donnée devrait être orientée pleinement vers le citoyen; après tout, l’État, c’est chez lui. Vous savez plus que moi à quel point le cynisme est généralisé au sein de la population. Ce cynisme est largement entretenu par le sentiment d’impuissance et de méfiance qui se développe face à un monde complexe et opaque. Ce sera votre rôle comme député.e, comme ministre, comme premier ministre de rendre le bout de monde qui est sous votre responsabilité le plus transparent, le plus accessible, le plus visible possible. Vous gagnerez en crédibilité tout autant que vous aurez aidé à rendre l’appareil d’État moins suspect, plus cohérent, et plus performant.

Le gouvernement multiplie les investissements pour encourager les entreprises à accélérer le pas dans l’utilisation de l’intelligence artificielle et la science des données; la province est un pôle d’excellence reconnu en valorisation de la donnée grâce à ses centres de recherche et la qualité de son enseignement dans ce domaine.  Lorsque vous serez élu-e, usez de votre leadership pour non seulement consolider ces initiatives, mais assurez-vous que l’appareil gouvernemental puisse profiter des percées de cette grappe émergente.

Si durant votre mandat, vous réussissez ainsi à rendre cette structure un peu plus souple, un peu plus innovante, un peu plus accessible, nous serons tous gagnants comme société.

Chers candidats, chères candidates, je vous souhaite une belle campagne électorale. Et profitez donc de cette période pour questionner un peu vos spécialistes de la donnée afin de cerner comment cette expérience très concrète du numérique pourrait vous aider dans votre action politique une fois que vous serez élus-es.


À lire:

Quelques articles sur les logiciels électoraux utilisés par les partis politiques au Québec :

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Crédit photo: Josh Riemer sur Unsplash

Les petites mains militantes

Vous avez remarqué ce matin comment l’élection avait son apparition dans la rue? D’un coup, les rues pleines d’affiches et de photos de passeport grand format. Tout cela avant même d’être officielle chez le lieutenant-gouverneur. Les petites mains militantes aiment décorer les villes et les campagnes de leur couleur; elles sont rapides et efficaces

Elle est tenace cette tradition qui veut qu’on accroche sur tous les poteaux de la province la photo de tous les candidats. Une bataille de positionnement hautement stratégique qui exige une action immédiate comme si le résultat des élections en dépendait.

Est-ce la seule façon qu’ont les partis et les candidats de se faire connaître? Pourtant, en 2018, on peut rejoindre tout un chacun directement chez lui ou chez elle. Je dirais même directement SUR lui, SUR elle.

Le CEFRIO publiait cette semaine le portrait numérique des adultes pour chaque région du Québec. On voit que globalement 91% des adultes disposent d’une connexion internet. Deux adultes sur trois possèdent un téléphone intelligent, capable théoriquement de naviguer sur Internet et de lire les fichiers audio et vidéo. Le taux de possession d’ordinateurs dépasserait 80%.

N’y aurait-il pas là assez d’espace à occuper pour nos partis politiques pour rejoindre cet océan d’électeurs avides de les voir et de les entendre? Les partis ont tout prévu; ils ont leurs équipes geeks pour alimenter les horizons électroniques et repérer bit par bit l’électeur potentiel.  Mais les petites mains militantes poursuivent quand même leur besogne de nuit, à la recherche du poteau oublié.

Cette élection sera pancarte comme elle sera Internet (et télé, et radio). Elle sera analogique comme elle sera numérique. Prouvant en cela, une fois de plus, que l’univers numérique ne zappe pas l’univers analogique. Il s’y superpose, s’y infiltre, s’y entremêle, s’y fusionne, la complète. Mais surtout, ne la remplace pas. Du moins pas totalement.

C’est sans doute pour cette raison que le livre papier, que le disque vinyle ont toujours une vie. La raison pour laquelle je continuerai à prendre mon pain chez le boulanger et non chez Amazon.

Des élections et du numérique

Plus que quelques heures avant le déclenchement des élections. L’espace médiatique est déjà tapissé des faits et gestes de nos partis politiques depuis le printemps. Depuis trop longtemps. Le slow news estival lié à un long chapelet de nominations insignifiantes, a donné à cette précampagne une allure de supplice de la goutte interminable; voyons cela comme un des effets pervers déplorables de ces nouvelles élections à date fixe. Une fois le déclenchement des élections officialisé, peut-être que les aspirants députés tout aussi ennuyés que nous de cette campagne, voudront ajouter plus de contenu et plus d’idées que jamais au cours des élections précédentes; espérons donc un tel effet vertueux de ces élections à date fixe. Mais disons qu’on peut en douter.

N’empêche que cette année serait une excellente année pour une campagne plus musclée au niveau des idées. Notamment pour discuter numérique.

Traditionnellement, d’élection en élection, on se limitait à mesurer la compétence numérique des partis en fonction des outils et des stratégies qu’ils mettaient en place durant les campagnes électorales. Les partis abordaient tellement peu ces thèmes dans leurs programmes ou sur la place publique qu’il ne restait que leurs propres usages des supports technologiques pour essayer de comprendre où ils en étaient rendus dans leur compréhension du numérique. Comme si la compétence de leurs équipes technos, de leurs stratèges en communication ou de leurs gestionnaires de communautés était une bonne mesure de l’état de leur réflexion face aux changements de notre société sous la pression du numérique et de l’évolution technologique.

D’ailleurs sur ce point, les partis ont pris du grade au fil des années; ils sont tous équipés de rutilantes machines de marketing numérique électoral efficaces. Les partis vivent tous maintenant à l’heure des mégadonnées. Ce qui fait la différence entre eux, c’est le brio de leurs équipes, la finesse des outils développés et les budgets qu’ils auront à leur disposition.


Du numérique dans la politique

Cette campagne, qui s’annonce pour l’instant si triste, a pourtant tout ce qu’il faut pour devenir un moment charnière. En effet, fait très attendu depuis longtemps, les 3 principaux partis auront des candidats capables d’avoir une pensée articulée sur les questions liées au numérique. Chacun d’eux pourrait débattre de l’importance du pôle en intelligence artificielle naissant au Québec, du tragique bilan de la connexion haute vitesse en région, des défis du commerce en ligne, du bouleversement attendu dans les secteurs de l’éducation, de la place des start-ups dans la nouvelle économie, de la nécessaire et urgente réorganisation du fonctionnement de l’État, et ainsi de suite.

Je parle bien sûr ici de Dominique Anglade du PLQ, de Mario Asselin de la CAQ et de Michelle Blanc de PQ. On attend de voir du côté de QS, mais ce ne serait pas surprenant de voir apparaître une personne tout aussi solide prendre le rôle de porte-parole à cet égard.

Le PLQ enverra Dominique Anglade sur toutes les tribunes où il sera question de « IA », d’accélération d’entreprise et de transformation numérique. Avec raison. Après tout, Dominique Anglade c’est un peu notre « Emmanuel Macron » de la politique provinciale; vous savez ce ministre de l’économie devenu président qui savait mettre dans ses discours ce qu’il fallait de vocabulaire choisi pour faire miroiter un futur high-tech. Mme Anglade a gagné beaucoup de crédibilité dans les milieux technos au cours des dernières années. Elle a réussi notamment à piloter, au sein du gouvernement libéral, l’épineux dossier du Plan numérique en économie; ce plan attendu depuis déjà plus d’une décennie par tous les acteurs du milieu. Elle s’en est fait depuis une excellente porte-parole, tant dans l’industrie qu’auprès de ses collègues de l’Assemblée nationale. Alors que les ministres de l’économie précédents ne pouvaient que répéter les phrases apprises par cœur lorsqu’il était question des enjeux économiques posés par le numérique, Mme Anglade constitue un véritable reboot de cette fonction ministérielle. Il était temps! Plus que temps!

La CAQ compte parmi ses rangs, Mario Asselin. Ancien directeur d’école, devenu au cours des 10-15 dernières années un précieux interlocuteur sur toutes les questions numériques au Québec. Même si son thème de prédilection reste l’éducation, son regard se porte beaucoup plus loin. Il tient un excellent blogue, Mario tout de go, depuis 2005. Il y aborde les questions d’éducation et de numérique; même si son implication politique des dernières années a pris le dessus sur le reste. Mario a aussi tenu chronique dans le Journal de Québec et de Montréal durant environ deux ans, où il était souvent question de l’impact des changements sociaux induits par le  numérique.

Le PQ compte dans ses rangs Michelle Blanc. Conférencière et consultante colorée et diplômée de HEC Montréal en affaires électroniques (maîtrise). Elle travaille depuis 20 ans sur les questions numériques. Michelle Blanc revendique depuis longtemps un leadership plus marqué de la part des gouvernements sur les questions numériques. Elle propose (à titre surtout personnel) un projet éconumérique qui allie objectifs écologiques et moyens numériques en plus d’être une fervente défenseure du branchement haute-vitesse à l’échelle du Québec.  Pour connaître ses positions, on peut profiter de l’abondance de son blogue qu’elle alimente régulièrement depuis 2005.

Michelle Blanc et Mario Asselin ont participé à la naissance de l’Institut de gouvernance numérique.

Pour l’instant, on ne sait pas trop si QS aura son porte-parole numérique. Dans le passé, cela n’a jamais été leur cheval de bataille. Amir Khadir est bien monté au front quelques fois pour défendre la position du parti dans certains dossiers, mais généralement avec des arguments malhabiles. Cette année il est certain que ce ne sera pas lui. Peut-être aurons-nous la chance de voir une personne proche de l’IRIS (Institut de recherche et d’informations socio-économiques) devenir leur porte-parole technonumérique. Cette organisation, proche politiquement de QS, a présenté au cours des dernières années des dossiers très intéressants sur l’impact des nouvelles technologies. Attendons de voir. 

Donc, si les partis le souhaitaient, pour la première fois, on pourrait avoir un débat 100% numérique, où tous les partis pourraient envoyer son champion, hautement compétent, pour défendre sa philosophe politique et son programme. J’entends déjà les thèmes: branchement des régions, transformation numérique des entreprises, littératie numérique et compétence numérique dans les écoles, innovation, intelligence artificielle, commerce électronique, protection de la vie privée, sécurité des données, rôle des entreprises dans le déploiement du numérique…

Autre signe que les questions numériques pourraient se frayer un chemin dans les débats des prochaines semaines, le gouvernement à accélérer les annonces à saveur numérique tout juste avant la pause estivale:

  • Rapport sur l’économie collaborative (qui est une forme d’économie  reposant en grande partie sur les échanges pair-à-pair rendus faciles et sécuritaires grâce aux nouveaux outils technologiques) (14 juin)


Du politique dans le numérique

La table est mise, les conditions sont réunies pour que les thèmes liés au numérique aient une présence nettement plus substantielle dans le discours politique lors de ces élections.  Enfin, dirons-nous!

Oui, je sais, les plus vieux d’entre vous me diront qu’à la fin des années 1990 avec le PQ,  on discutait déjà d’inforoutes sur la place publique et qu’il y avait même un ministre délégué attitré à ces questions. Mais là on parle de la préhistoire, avant le grand vacuum numérique commencé sous Jean Charest et qui s’est poursuivi durant plus de 10 ans. Ne boudons pas notre plaisir actuel de voir le thème reprendre vie sur la place publique.

Je suis tellement positif que j’espère même qu’on passe à l’étape suivante. Si nous voyons les signes évidents que le numérique entre dans le discours politique, peut-on aussi espérer voir le politique entrer maintenant dans le numérique? C’est-à-dire que les partis ne fassent pas qu’un long listage d’actions à inscrire au programme, mais qu’ils nous présentent leur vision politique de notre avenir numérique, qu’ils soient plus précis sur les options politiques contenues dans leurs propositions technologiques et numériques.

Au Québec, nous discutons généralement avec beaucoup de candeur de transformation numérique et de révolution numérique. Nous en discutons comme si le numérique portait en soit un projet libérateur ou un potentiel d’enrichissement social. Nous souhaitons les changements numériques; nous trouvons qu’entreprises, État, organisations ne vont pas assez vite ni assez loin; nous voulons plus d’initiatives et d’allant, mais nous définissons rarement quels changements numériques nous espérons.

Une illustration de tout cela: lorsque notre premier ministre nous invite à faire la « révolution numérique ». De quoi au juste parle-t-il? Et depuis quand un premier ministre veut-il faire la révolution? Normalement faire la révolution, c’est renverser les règles de fonctionnement d’un ordre social, c’est de proposer de nouvelles manières de faire, mais surtout c’est être maître d’oeuvre de ce processus de changement. Malheureusement, lorsqu’on nous parle de révolution numérique, on nous propose exactement l’inverse; on nous propose de suivre un courant qui a source un peu partout, mené par on ne sait trop qui, mais pour lequel il faudrait s’y rallier pour en tirer les avantages économiques. C’est un peu maigre comme orientation politique. En fait, nous voyons souvent cette révolution numérique comme si elle avait une direction préétablie, comme si les paramètres de la nouvelle société issue de cette révolution étaient déjà connus, et comme si faire partie de cette révolution nous mettait d’emblée du côté des gagnants.

Heu non! cette « révolution numérique » n’a ni cible, ni sens, ni objectifs politiques. Elle ira où on voudra bien la conduire. C’est à nous à y mettre direction, choix de société et objectifs de vie. La « révolution numérique » n’est que l’outil pour faire ce qu’on veut bien en faire.

Vous êtes amateurs de la série Black Mirror? Cette série nous rappelait à chaque épisode comment la transformation numérique n’est garante de rien. On peut facilement imaginer des sociétés totalitaires totalement numériques. On peut aussi imaginer des  sociétés centralisées dont l’ensemble des processus seront finement numérisés, où les rapports sociaux sont ficelés dans des filets de normes et de contrôle bien loin de notre idéal politique et social actuel. On peut tout autant imaginer des sociétés fortement numériques avec un partage du pouvoir total et une large participation citoyenne. Des mondes centralisés et autoritaires comme des mondes décentralisés et participatifs peuvent à leur manière constituer des bijoux numériques. Pourquoi? Parce que la révolution numérique n’est qu’une étiquette; parce que c’est juste une façon plus jolie de dire que nous utiliserons massivement la captation, la qualification, la quantification, la circulation et l’analyse des informations pour gérer les opérations de nos entreprises, de l’État ou de notre quotidien. Ni le « numérique », ni la « transformation numérique », ni même la « révolution numérique » n’a de sens, de texture ou de couleur politique; simplement une nouvelle façon d’être en relation avec les gens et les choses qui nous entourent. Le numérique n’a pas d’avenir autre que celui qu’on voudra bien fabriquer. À l’image du marteau qui ne dessine pas le meuble qu’il fabriquera; s’il en permet la réalisation, il ne prédéfinit jamais le résultat.

Il sera donc intéressant et plus instructif pour nous tous si les aspirants députés, au moment de parler de numérique, nous décrivent leur projet de société, leurs convictions politiques, et nous montrent comment le numérique est un allié dans leur projet. La liste de promesses sans les orientations ni les objectifs est inutile.

Youri Chassin voit-il le  numérique dans notre société comme Gabriel Nadeau-Dubois le voit?  Nous en serions tous bien surpris. Pourtant aujourd’hui, bien malin serait celui qui pourrait nous décrire la différence dans la vision politique du numérique entre les différents partis. Nous savons tous qu’ils se distinguent très bien les uns des autres par leur manière de penser l’économie, de voir l’intervention de l’État, de gérer la santé, de prioriser l’éducation, pourquoi ne devrait-on pas être capable aussi de sentir les mêmes différences lorsqu’il est question de numérique?

  • Qu’on nous explique comment les partis voient le numérique dans l’État, dans le rôle des citoyens? Si on peut supposer que l’État de la CAQ ne ressemble pas à l’État du PQ, cela devrait se refléter dans leurs propositions numériques. 
  • Qu’on nous explique comment, avec toutes les nouvelles formes de distribution des produits culturels, les frontières de notre culture seront transformées? Si tous les partis n’ont pas la même définition de ce qui devrait composer notre identité culturelle en 2018, cela devrait se refléter dans leurs propositions numériques.
  • Qu’on nous dise comment les détaillants locaux peuvent affronter la concentration des marchés? Un parti qui prône le « laisser-faire économique n’aura pas la même approche qu’un autre qui cherche à soutenir les marchés locaux, cela devrait se refléter dans leurs propositions numériques.
  • Et en éducation, en santé, en environnement, en développement régional, etc, aucun n’a les mêmes priorités, cela devrait se refléter dans leurs propositions numériques.

Voilà qui serait bien que cette campagne électorale, si tant est qu’elle laisse un peu de place aux débats, nous permette enfin de voir les nuances qui existent entre les différents partis sur les enjeux du numérique et les manières d’y répondre.

Crédit photo:  Arnaud Jaegers de Unsplash

Et si SLAV était l’arbre qui cache la forêt

Je sors de ma zone de confort. Normalement, je reste bien emmitouflé dans mes petits thèmes politico-numériques. Mais là, cette fois, je fais une exception. Il y a des moments où la moutarde fait plus que monter au nez; elle rend malade. Elle aveugle. Elle fait éternuer. Une moutarde contagieuse qui en fait dérailler plusieurs. De quoi, je parle? Bien sûr de tout ce débat qui fait rage autour du spectacle SLAV.

Débat! Que dis-je, bataille de fond de ruelles plutôt. Parler de débat suppose un échange; ici, on assiste plus à un dialogue de sourds. Un quasi-monologue de sourds, devrais-je plutôt dire, tant l’accès aux tribunes n’est pas distribué équitablement. Dans la notion de débat, il y a cette volonté de faire avancer la réflexion. Tout ce qu’on entend aujourd’hui, c’est le tintamarre de l’armement nucléaire qui veut pulvériser tout argumentaire divergent. Il n’y a plus de débat lorsque le point Godwin fait partie du folklore depuis la première minute. A-t-on, au Québec, en 2018, perdu le sens du débat, de la réflexion, de la discussion politique à ce point qu’on ne puisse aborder les questions sensibles qu’au moyen d’un concours d’étiquettes incendiaires? Le napalm n’a jamais créé un bon climat de discussion et d’ouverture.

Et si on retirait un peu de moutarde de nos narines et qu’on respirait un bon coup calmement.

Sérieusement, est-ce que les artistes qui ont porté le projet de ce spectacle, ceux qui y ont oeuvré, ceux qui ont été consultés, ceux qui s’y sont impliqués, ceux qui y ont cru sont des racistes? Sérieusement? Dans leurs intentions, dans leurs convictions, dans leurs gestes? Sérieusement? Peut-être ont-ils été malhabiles, naïfs, insouciants? Mais sûrement pas racistes. On ne porte pas un tel projet si on n’en a pas les convictions qui vont de pair.

Sérieusement, les personnes qui ont critiqué le spectacle, pancartes à la main, celles qui se sont senties blessées ou meurtries ou exclues, sont-elles des fachos, des vendues au multiculturalisme canadien, des anti-francophones, des exterminateurs de la culture québécoise, des incultes ou des obscurantistes? Sérieusement? Juste parce qu’ils osent soulever l’opinion que dans notre trop tranquille société québécoise francophone, il y a encore des injustices et de la discrimination sur la base de la couleur de la peau? Sérieusement, des fachos? Non, au pire, des militants qui grafignent trop profondément pour attirer l’attention sur un problème pourtant essentiel.

Sérieusement, est-ce que le FJM qui a retiré ce spectacle de sa programmation est un censeur digne de l’inquisition? Sérieusement? Une organisation qui, depuis 40 ans, fait tant de places à l’expérience, à la diversité, à l’aventure? Un censeur? Un raciste aussi, quant à y être? Sérieusement? Au pire, il s’agit d’une compagnie qui a décidé qu’il s’agissait d’un problème de société qui la dépassait et qu’elle n’avait pas à se substituer ni à la société civile ni aux politiques dont c’est le rôle de s’exprimer. La majorité des entrepreneurs, toutes communautés confondues, auraient fait le même choix.

Cet arbre qui cache la forêt

J’aime bien l’expression « l’arbre qui cache la forêt ». Elle s’applique tellement bien ici. On focalise sur un spectacle (que si peu de monde a vu), sur des manifestations (de pas tant de monde et que si peu de monde a vu), d’une poignée de pancartes (un peu pimentées) pour que tous les faiseurs d’opinions s’emballent. Et on regarde quoi? l’arbre, bien sûr. Comme si ce spectacle était le début, le milieu et la fin de toute cette histoire. On ne regarde pas plus loin que l’arbre. Jamais la forêt qui est là, derrière. La colère exprimée au moment de ce spectacle tient-elle totalement du spectacle? Nah! De l’accumulation d’années de frustration. Comme si le spectacle SLAV (à tort ou à raison) représentait la fameuse goutte qui fait déborder le vase. Ou le bon prétexte médiatique.

Non, notre petit Québec n’est pas sans tache. Il faut quand même se le dire, il y en a de la discrimination. De la discrimination que nos institutions, que notre culture, que nos entreprises, que nous-mêmes entretenons. Inconsciemment ou volontairement (c’est selon). L’idéal d’inclusion est encore un projet à réaliser, il ne faut pas tomber dans le déni.

Des fractures sociales, notre petite société québécoise en est pleine. C’est important de l’admettre, de les voir, d’essayer de les comprendre et de les mettre dans la sphère politique pour en débattre.

Une fracture sociale, c’est quoi? Par exemple, c’est la pauvreté chronique. Celle qu’on côtoie, celle qu’on évite trop souvent du regard, celle qu’on aimerait penser que ses victimes sont les artisans de leur propre malheur. Mais on sait très bien qu’elle est structurelle; on sait que les cartes de chance sont distribuées inégalement dans notre jeu, et que certains auront toujours plus d’occasions de trébucher socialement que d’autres. La pauvreté est tellement réelle que nous la craignons tous pour nous et pour nos enfants, qu’on essaie de l’endiguer avec des programmes gouvernementaux. Et ceux qui y sont coincés, ceux qui ont faim ou ceux qui sont épuisés de défendre ces personnes sans moyen pour se faire entendre, serez-vous surpris lorsque leur souffrance, leur misère et leur frustration prendra le ton de la colère?

Autre exemple? Cette fracture qui nous touche tous, entre les hommes et les femmes. Celle qu’on aimerait tant qu’elle soit déjà disparue depuis longtemps, celle qui se traduit par tant de déséquilibre au travail, dans la famille, dans l’intimité, partout. On la sait, on la connaît, on cherche à l’éliminer, mais chaque fois qu’on croit s’approcher d’un nouvel équilibre, on constate qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. La vague #meetoo est une autre belle illustration que l’exaspération cède un jour soudainement sa place à la colère pour se faire entendre.

Et cette forêt derrière l’arbre? Au-delà des étiquettes lancées à la suite du spectacle SLAV, ce qu’on a entendu ne serait-ce pas encore le cri d’une frustration trop longtemps retenu qui s’exprime?

Il faut accepter d’être lucide et admettre qu’il y a toujours au Québec bien plus de discriminations sur la base de la couleur et de l’origine qu’on ne le croit. Et ce n’est pas parce que nous ne souhaitons pas qu’elles existent, ce n’est pas parce que nous n’en subissons pas les effets, qu’elles n’existent pas. Tant d’emplois manqués sur la base d’un nom d’origine incertaine, tant de suspicion sur la base d’un teint trop basané, tant d’embûches dressées sur la base de la couleur. Faut pas fermer les yeux ni même les baisser; ne pas admettre cette réalité nous en rend chaque jour moins innocents. Et devant le déni doit-on être surpris que là aussi l’exaspération cède le pas à l’impatience et à la colère ?

Dieu sait pourquoi, plusieurs commentateurs croient qu’on a manqué une belle occasion de parler, de lancer un débat. Je crois bien au contraire que tout est là pour qu’on en discute. La discrimination sur la base de la couleur et des origines est bien insidieuse. C’est un thème sensible; personne ne veut se retrouver au banc des accusés et reconnu comme raciste. Pourtant, chasser les discriminations et les racismes structurels n’a rien à voir avec une mise en accusation des citoyens et des individus, c’est chercher les réflexes culturels, les mécanismes institutionnels, les boys clubs, les injustices profondes qui empêchent trop de citoyens d’avoir les mêmes chances que les autres. C’est le temps, la table est mise.

Et vous, vous voulez vraiment parler d’un spectacle que vous n’avez pas vu, de liberté d’expression, de censure? Ou, au contraire, faire un pas de plus, et dépasser cet arbre qui cache la forêt.

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Photo par Guillaume Jaillet sur Unsplash