La Commission de la culture et l’éducation se penche cette semaine sur l’avenir des médias. Les intervenants viennent à tour de rôle présenter leur mémoire. La question est importante; la presse se meurt au Québec comme elle est ébranlée partout à travers le monde. Et la petitesse de marché rend encore plus ardue la survie des entreprises de presse, voire la rend impossible. Ces travaux de l’Assemblée nationale cherchent des pistes de solutions à la situation urgente dans laquelle nous nous trouvons, avant que trop de joueurs ne soient disparus. Je me permets quelques commentaires en marge des mémoires présentés lors de cette première journée.
Il a été abondamment question de la disparition soudaine des revenus publicitaires au profit des grands joueurs du Web qui accaparent une part toujours plus qu’importante de ces revenus. Je reviens sur deux points récurrents entendus régulièrement tout au long des échanges (et qui seront sans aucun doute répétés tout au long de la semaine).
Entendu 1 : Faudrait que le Gouvernement donne l’exemple en réduisant ses publicités dans les médias sociaux et accroisse ses dépenses publicitaires dans les médias traditionnels pour les soutenir.
Que NON!
Pour leurs placements publicitaires, j’espère que les planificateurs médias du gouvernement continueront à faire comme ils doivent faire: c’est-à-dire aller au plus efficace, en fonction des objectifs de leur campagne. Ils seraient dommage que pour sauver une industrie (aussi importante soi-elle), l’ensemble des publicités gouvernementales deviennent moins efficace et que leurs campagnes en souffrent. Il n’y a pas de gain à ne pas atteindre ses objectifs.
Établir des seuils obligatoires de publicité gouvernementale en faveur des médias traditionnels, juste pour les aider à faire leur frais, ne serait qu’une autre façon de verser une subvention. Dans cette optique, il serait nettement plus simple et efficace de donner cet argent directement aux médias pour ce que c’est (une subvention) et de réduire les frais inutiles de production et diffusion publicitaire si cette opération n’est pas l’objectif véritable souhaité. Il n’y a pas de mal à soutenir une industrie en crise. Il n’est pas nécessaire de faire semblant de ne pas la subventionner alors que ce n’est que cela qu’on cherche à faire.
Le marché publicitaire n’a pas fini de se tarir. Radio et télé perdront d’importantes parts de marchés avant longtemps, tout comme la presse écrite a vu disparaître ses revenus. Il serait important que toutes mesures gouvernementales soient orientées à consolider de nouvelles formes de revenus plutôt que de soutenir l’illusion d’un marché publicitaire qui ne serait soutenu qu’artificiellement.
Entendu 2 : Faudrait taxer les GAFA et en faire une source de financement long terme pour les médias.
Que NON!
Une « taxe sur les services numériques » (dite taxe GAFA), à l’image de celle proposée par le gouvernement français, est régulièrement donnée en exemple comme source de revenus qui pourrait soutenir les médias. C’est un non-sens. Une telle taxe vise à réparer un régime fiscal brisé qui est incapable d’imposer les multinationales du numérique à la hauteur de leur activité économique, à l’instar des entreprises ayant pignon sur rue à l’intérieur des frontières du pays. Cette taxe n’a donc aucune prétention à compenser le secteur de l’information pour ses pertes ni aucun autre secteur économique en particulier. Une taxe GAFA est une mesure pour imposer des entreprises qui ne peuvent actuellement être imposées autrement. On fait donc fausse route d’aborder cette question dans une discussion sur l’avenir des médias. Une telle mesure devrait rapidement être étudiée tant au provincial qu’au fédéral, mais comme mesure d’équité fiscale envers l’ensemble des entreprises canadiennes et québécoises (pas comme soutien à un secteur particulier).
C’est plutôt du côté du droit d’auteur que les médias et la Commission devraient s’attarder. En Europe, cette question fait l’objet de projets. Déjà sur YouTube, les droits d’auteur sont reconnus et compensés sous certaines conditions. Il y a des discussions à entamer avec les gros joueurs pour que certains producteurs professionnels soient compensés pour le trafic qu’ils leur apportent et les revenus qu’ils aident à générer grâce à leur travail. Non seulement y a-t-il du contenu qui circule librement sans compensation aucune, mais les algorithmes développés des médias sociaux tout comme ceux des moteurs de recherche intègrent des données issues de médias pour calibrer les indices d’actualité de certains sujets. Le travail de presse est largement utilisé tant en surface qu’en profondeur par les géants du Web. Les médias sociaux et les moteurs de recherche sont largement tributaires du travail de la presse. Il est impératif que leurs droits d’auteur soient reconnus et compensés. La mise à jour des modèles d’affaire des médias traditionnels passe par la révision complète du respect de ces droits dans un monde numérique.
Bien qu’il s’agisse d’un élément fondamental et hautement structurant, une solution n’est pas de l’ordre du court terme. Rien pour répondre aux besoins urgents de nos médias. Mais on ne pourra pas éternellement mettre cette question sous le tapis. Il faudra même le faire avant que les géants du Web ne développent leurs propres unités journalistiques (qui ne répondra jamais aux objectifs d’une presse locale).
Le droit d’auteur n’est pas la seule source de revenus qui devrait être envisagée provenant des grands joueurs du numérique. Il y a tout un nouveau système de redevances à imaginer autour de l’exploitation des vastes bases de données personnelles. Les lois actuelles ne font qu’encadrer leurs usages et leur sécurité, mais la création de valeurs, générée par ces grands ensembles de données, devrait faire l’objet d’une attention fiscale toute particulière. De la même manière que des redevances sont versées pour l’exploitation et l’utilisation de l’eau et de produits miniers, on doit explorer l’idée de redevance sur les données personnelles.
En ce qui me concerne, ma conclusion de cette première journée de débats, c’est qu‘une Commission sur les aspects fiscaux des géants des services du numérique serait tout aussi nécessaire et urgente que celle sur l’avenir des médias.
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