À la suite de la publication du premier budget Leitao, Claude Malaison a sollicité l’opinion de quelques personnes du milieu numérique. Voici ma réponse qui fut reprise dans ce billet.
1) Je ne parlerai pas de la réduction des crédits d’impôt. Je laisserai à d’autres, plus touchés par la situation, exprimer leurs craintes ou les avantages qu’ils y voient. Mais il est bien certain que la réduction des crédits d’impôt et l’apparition d’un soutien à la créativité (Fonds créativité Qc) et à l’innovation (allègement FSS) auront un impact dans l’écosystème. Sans doute qu’au niveau local, on verra sans doute quelques acquisitions et/ou fusions d’entreprises fragilisées par la situation, mais sans doute rien de majeur. Au niveau de la concurrence internationale, il faudra voir ce que cela donnera à moyen terme, principalement dans les secteurs hautement sensibles à ces encouragements fiscaux (comme le secteur du jeu).
2) Il est évident que le secteur manufacturier qui a beaucoup souffert au cours des dernières années doit mettre à l’ordre du jour productivité et innovation. Normalement, tout l’effort devrait être mis à stimuler la compétitivité de ce secteur, notamment en encourageant un gain de productivité qui est souvent très lié à l’implication des TI. Plutôt que d’avoir une vision plus positive et stimuler de façon durable le secteur, le gouvernement à préférer le choix de réduire le taux d’imposition. Belle opportunité de manquer pour l’innovation comme priorité chez nos manufacturiers qui visent les marchés internationaux.
3) Bien sûr, encore une fois, comme toujours, aucune indication d’un semblant de stratégie numérique dans le budget. Mais il n’y a pas de véritable déception, car il n’y avait aucune attente. Jamais jusqu’à présent le gouvernement libéral n’avait montré un signe d’intérêt pour définir une telle stratégie ; normal que le budget soit en continuité avec l’absence de vision.
4) Ce qui m’étonne le plus dans tout ce processus budgétaire, c’est que le gouvernement a préparé le terrain durant des semaines pour nous laisser croire des actions radicales et structurantes. En fait, il n’en sort quoi, qu’une formule comptable : «on dépense trop, donc faut couper».
La seule médecine qui s’annonce, en sera une de minceur. Rien n’est changé au niveau des processus organisationnels. Centralisation, hiérarchisation, spécialisation seront toujours au cœur de l’organisation. On remet actuellement en question le filet social que nous avons collectivement décidé de nous donner ; on remet en question l’efficacité de certaines mesures, de certains plans, de certains objectifs, mais rarement on s’interrogera sur l’organisation mise en place pour les réaliser. Au mieux, une pointe de cynisme désabusée et résignée. Pourtant c’est peut-être plus le fonctionnement de cette vaste machine qui devrait être mise en cause que le filet dont nous voulons bénéficier. Et, c’est là l’histoire récente du numérique pourrait nous aider.
On voit généralement la société numérique comme une caricature technologique. Comme si tous les citoyens étaient soudainement rivés sur un ordinateur ou un appareil mobile. Pourtant…L’évolution numérique de la dernière décennie est riche en enseignement. Il y a une constance remarquable chez les entreprises et organisations qui ont émergé et se sont installées en position de force. Ces entreprises ne révolutionnent pas le marché par un apport technologique imbattable ou un gain de productivité majeure. Ce sont des entreprises qui ont su innover dans le rapport qu’ils entretenaient avec la clientèle. Car il est là l’enseignement premier de notre société numérique en émergence ; ce n’est pas tant la technologie qui fait la différence que le rapport que les entreprises entretiennent avec les usagers, grâce aux possibilités de la technologie. Le point de rupture n’est pas technologique, mais relationnel. Dans le rapport aux usagers ou des usagers entre eux.
Ce changement de paradigme devrait être mis à profit par les gouvernements. Une refonte majeure des relations entre l’État et les citoyens, entre l’État et les entreprises, devrait être opérée. Un peu à la manière des entreprises actuelles qui doivent revoir profondément leur modèle d’affaires pour s’assurer leur passage (et leur survie) dans une société numérique, les gouvernements doivent opérer un changement équivalent dans la relation avec les citoyens, notamment dans la gestion des services. L’usager au centre de l’offre de service.
Pour l’instant, le gouvernement est empêtré dans une vision de l’informatique centralisée à l’ancienne, qui est aussi synonyme de gouffre financier. Toute réflexion sur les technologies de l’information doit avec raison lui donner des crises d’urticaire. Pourtant, c’est au-delà (et même en opposition) de cette conception de l’informatique que l’État doit asseoir sa réflexion.
5) J’aurai espéré que parmi tous les projets de revoir les dépenses et les projets, on aurait consacré un minimum de temps ( et d’argent) à cette réflexion: le gouvernement à l’ère du numérique.
Dans le budget, il n’y a donc pas de trace de stratégie pour favoriser le passage de notre économie à la société numérique, il n’y a pas de plus de traces de réflexion sur comment modifier l’organisation de nos services publics, avec le soutien de la technologie. Il est alors probable que nous revivions dans quelques années un nouveau psychodrame budgétaire, lorsque l’impasse budgétaire aura atteint un nouveau seuil, malgré les coupures dans les dépenses et à cause du ralentissement de notre économie qui peinera toujours et encore à s’adapter.
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